La maladie pulmonaire interstitielle dans la sclérodermie systémique: Faut-il traiter les atteintes légères?
Par Dre Sabrina Hoa, M.D. M.Sc.
La sclérodermie systémique est une maladie autoimmune rare caractérisée par divers degrés de fibrose cutanée et d’atteinte des organes internes. La maladie pulmonaire interstitielle (MPI), ou fibrose pulmonaire, est une complication fréquente de la sclérodermie, affectant jusqu’à 50% des patients. Les médicaments immunosuppresseurs sont actuellement utilisés dans le traitement de la MPI associée à la sclérodermie, particulièrement chez les patients avec des symptômes pulmonaires (p. ex. essoufflement ou toux), une atteinte grave de la fonction pulmonaire ou une aggravation progressive de la maladie. Toutefois, l’utilité de ces médicaments chez les patients dont la fonction pulmonaire est normale ou légèrement altérée n’est pas claire à l’heure actuelle, étant donné que cette population de patients a été généralement exclue des essais cliniques comparatifs randomisés. Pourtant, une MPI associée à la sclérodermie avec une fonction pulmonaire normale ou légèrement altérée est fréquente, représentant environ la moitié de tous les patients atteints d’une MPI associée à la sclérodermie.
Dans le cadre de son projet de mémoire de maîtrise en épidémiologie à l’Université McGill, Dre Hoa s’est intéressée au rôle des médicaments immunosuppresseurs, plus précisément le cyclophosphamide et le mycophénolate mofétil, dans le traitement des patients atteints d’une MPI légère associée à la sclérodermie. À l’aide de données recueillies dans le registre du Groupe de recherche canadien sur la sclérodermie (GRCS) de 2004 à 2017, elle a étudié les caractéristiques et les résultats de 116 patients atteints d’une MPI légère associée à la sclérodermie. Environ 10 % de ces patients avaient été exposés au cyclophosphamide ou au mycophénolate mofétil, principalement pour des atteintes articulaires et cutanées. Après un an, la capacité vitale forcée (ou CVF, une mesure de la fonction pulmonaire) des patients exposés à ces médicaments a été comparée à celle de patients non exposés à ces médicaments.
Quels ont été les résultats ?
Les patients atteints d’une MPI légère qui ont été exposés à des médicaments immunosuppresseurs pour des raisons autres que des maladies pulmonaires ont obtenu de meilleurs résultats aux tests de fonction pulmonaire après un an que les patients qui n’ont pas été exposés, même après ajustement des valeurs de base de la fonction pulmonaire, de la durée de la maladie, de l’étendue de l’atteinte cutanée et des scores d’essoufflement. De plus, aucun patient exposé à des médicaments immunosuppresseurs n’a connu de diminution de sa fonction pulmonaire au cours des deux années suivantes, alors que jusqu’à 25 % des patients qui n’ont pas été exposés à ces médicaments ont vu une diminution de leur fonction pulmonaire pendant cette même période.
Ces résultats préliminaires sont très intéressants, car ils suggèrent que les médicaments immunosuppresseurs pourraient modifier l’évolution de la maladie dans le traitement de la MPI précoce associée à la sclérodermie. Dans le futur, les études contrôlées randomisées portant sur l’efficacité des traitements contre la MPI associée à la sclérodermie devraient inclure les patients avec une forme légère de la maladie, car ces patients pourraient également bénéficier de thérapies qui agissent sur l’évolution de la maladie. Des études de recherches additionnelles doivent également être effectuées afin de mieux caractériser les prédicteurs de l’évolution de la maladie chez les patients atteints d’une MPI légère associée à la sclérodermie.
Dre Sasha Bernatsky, Gaétan Baril, Président de Sclérodermie Québec, Dre Sabrina Hoa et Dre Marie Hudson
Dre Hoa a maintenant complété sa maîtrise en épidémiologie et est très reconnaissante à ses superviseures, Dre Marie Hudson et Dre Sasha Bernatsky, pour leur mentorat exceptionnel. Elle remercie également le Dr Murray Baron, directeur du GRCS, et tou(te)s les patient(e)s et chercheur(e)s qui ont contribué à la richesse du registre du GRCS. Elle est profondément reconnaissante à Sclérodermie Québec, à la Chaire de recherche en sclérodermie de l’Université de Montréal, à la Société de l’arthrite, aux Instituts de recherche en santé du Canada et à la Fondation du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) pour leur soutien financier durant son stage de formation postdoctorale. Dre Hoa a été nommée professeure adjointe de clinique au Département de médecine de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et à la Division de rhumatologie du CHUM. En tant que clinicienne-chercheure, elle espère faire progresser les connaissances sur l’usage optimal des thérapies afin d’améliorer la qualité des soins prodigués aux personnes atteintes de sclérodermie.